Gouvernement tibétain en exil : « La Suisse veut-elle vraiment rendre la Chine plus forte ? »

6. mai 2024

Lors de sa visite en Suisse, le Sikyong Penpa Tsering met en garde contre l’autoritarisme chinois et s’exprime sur la succession du Dalaï Lama.

Lisez ici l’article original de Vincenzo Capodici, paru le 05.05.2024 dans le Tagesanzeiger.

Photo : Dominique Meienberg

Penpa Tsering parcourt le monde depuis des années pour promouvoir une solution pacifique au conflit sino-tibétain. Le chef du gouvernement tibétain en exil n’hésite pas à parler clairement de la Chine, mais pas seulement lorsqu’il s’agit de la situation au Tibet. Il condamne également les violations des droits de l’homme des Ouïghours, le comportement agressif de la Chine envers Taïwan et la propagande chinoise dans le monde entier.

La Suisse et la République populaire de Chine sont liées par un accord de libre-échange depuis 2014 , qui doit maintenant être étendu. La Suisse est l’un des rares pays à avoir un tel accord avec la Chine. « Avec cet accord de libre-échange, la Suisse contribue à renforcer la position de la Chine dans le monde », explique le Sikyong. Il faut comprendre « que nous avons affaire à une Chine qui tente de plus en plus agressivement d’imposer sa politique autoritaire dans les relations internationales, au détriment du monde libéral ».

Les intérêts économiques ne font pas tout

Malgré les intérêts économiques compréhensibles, les pays occidentaux devraient également défendre leurs valeurs fondamentales telles que les droits de l’homme, la liberté et la démocratie face à la Chine. « On ne peut pas toujours penser uniquement aux affaires et au profit », fait remarquer Penpa Tsering. Il constate tout de même un changement d’opinion dans les relations avec la Chine. En discutant avec les dirigeants européens, il entend souvent qu’ils sont en fait conscients qu’il ne faut pas rendre la Chine plus puissante.

S’adressant au Conseil fédéral et au Parlement fédéral, Penpa Tsering pose, comme il le souligne, la question centrale : « La Suisse veut-elle vraiment rendre la Chine plus forte ? » La fermeté suisse vis-à-vis de la Chine, il l’avait déjà souhaitée lors de sa dernière visite en Suisse en novembre 2021.

Le Sikyong est préoccupé par le fait que la communauté tibétaine en Suisse – comme dans d’autres pays où vivent des Tibétains – est « suivie et intimidée » par des acolytes ou des informateurs du gouvernement chinois. Les activistes tibétains doivent par exemple s’attendre à ce que leurs proches au Tibet aient des problèmes s’ils participent à des manifestations. Plus de 7500 Tibétains vivent en Suisse.

L’identité tibétaine pourrait disparaître

Penpa Tsering se montre alarmiste lorsqu’il évoque le sort de ses compatriotes au Tibet. Selon lui, la politique de répression de Pékin a pour conséquence que « notre langue et notre culture, notre religion et notre mode de vie n’existeront plus d’ici deux ou trois décennies ». Le chef du gouvernement tibétain en exil est un partisan de la « voie du milieu », qui ne vise certes pas la sécession ou l’indépendance vis-à-vis de la Chine, mais qui revendique une large autonomie et des droits de liberté pour le peuple tibétain. La « voie du milieu » avait autrefois été promue par le Dalaï Lama, le chef religieux des Tibétains.

Le gouvernement tibétain en exil cherche à négocier avec Pékin. Les différences d’opinion sont toutefois importantes sur des questions centrales, comme le degré d’autonomie du Tibet ou la délimitation exacte de ses frontières. Jusqu’à présent, il n’y a eu que des discussions par des voies informelles, dit le Sikyong. « Nous n’avons pas de grands espoirs si l’on considère la politique de Xi Jinping. Mais nous travaillons dans une perspective à long terme ».

Le Sikyong n’a jamais vécu au Tibet. Cet homme politique de 57 ans est né dans un camp de réfugiés en Inde. C’est là – à Dharamsala – que se trouve le siège du gouvernement tibétain en exil. Et c’est là que vit le Dalaï Lama, bientôt 89 ans, qui personnifie et fait avancer la cause tibétaine depuis plus de six décennies. Le dalaï-lama est le guide spirituel et la figure lumineuse des Tibétains. (Lire ici une interview du Dalaï Lama).

« Sa Sainteté ne fait pas partie du problème, comme le prétendent les dirigeants chinois », maintient Penpa Tsering. « Il fait partie de la solution ». Mais « s’il n’était plus là, ce serait un grand revers pour notre combat », reconnaît le sikyong. Mais il se montre confiant : « Sa Sainteté nous a montré la bonne voie et nous a appris à prendre nos responsabilités ».

Plus le dalaï-lama vieillit, plus la question de sa succession se pose avec acuité. Et elle devient également plus explosive, car les dirigeants chinois sont déterminés à désigner eux-mêmes un successeur.

Le dalaï-lama serait « en très bonne santé

Selon Penpa Tsering, le dalaï-lama décidera seul de sa succession. Selon un document qu’il a lui-même rédigé en 2011, le dalaï-lama pourrait prendre une décision dès qu’il aura 90 ans, c’est-à-dire dans deux mois, en juillet prochain. Pour l’instant, la question de la succession est totalement ouverte. Et c’est une bonne chose, comme le souligne le sikyong. « Car cela complique aussi les choses pour les Chinois, qui ne savent pas gérer les imprévus ».

Malgré son âge avancé, le dalaï-lama est encore « en très bonne santé », assure Penpa Tsering. « Sa Sainteté vivra encore longtemps ». Cette déclaration, le sikyong la comprend également comme un message aux Chinois qui espèrent que le 14e dalaï-lama disparaîtra bientôt.