Le Tibet, la raison d’être de Dhondup Wangchen

15. Februar 2022

Né sur les hauts plateaux de l’Himalaya, cet homme de 47 ans a passé 6 ans en prison après avoir réalisé un film critique des JO de Pékin 2008. Il achève un tour d’Europe où il voulait inviter les Etats à boycotter ceux de 2022

Lisez ici l’article original de Stéphane Bussard, paru dans Le Temps publié jeudi 10 février 2022.

On a beau être au milieu des Jeux olympiques d’hiver de Pékin, ce n’est pas sa tasse de thé (vert). Dhondup Wangchen n’a jamais eu l’occasion de vivre l’idéal olympique visant à promouvoir «une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine». A 47 ans, il incarne plutôt la résistance au pouvoir chinois, lequel souhaite faire de ce rendez-vous sportif une démonstration de puissance. Veste sombre, pin du drapeau tibétain accroché à son pull, il vient d’achever à Genève un tour d’Europe entamé en novembre dernier. Objectif: inviter au boycott des JO de Pékin 2022 et surtout jeter un coup de projecteur sur la situation alarmante de la région où il a toutes ses racines, le Tibet.

En Europe, il a cherché à rencontrer de nombreux comités olympiques locaux. Sans grand succès. Pour lui, le CIO n’aurait jamais dû attribuer les Jeux à la Chine. Son attitude au Tibet aurait dû la priver de promouvoir un événement à la gloire de la paix et de la rencontre des peuples.

Un lourd passé

Si Dhondup Wangchen a les traits tirés, mais le regard encore perçant, ce n’est pas hasard. Il porte un lourd passé sur le dos. En 2008, après avoir sillonné une bonne partie du Tibet à la rencontre de plus d’une centaine d’habitants, il réalise un film (Surmonter la peur) critique de la tenue des JO d’été de Pékin 2008 et des conditions de vie des Tibétains. Un moine, filmé dans un décor aride le souligne: «Si les Jeux de 2008 doivent avoir lieu, alors ils devraient servir la liberté et la paix.» Une femme tibétaine ajoute: «Les Chinois ont l’indépendance et la liberté pour célébrer les JO. Nous ne les avons pas.»

Le film a réussi à être exfiltré vers Zurich. Mais il a valu à son réalisateur d’être arrêté. Dhondup Wangchen est torturé dans un hôtel, privé de sommeil et de nourriture pendant huit jours et nuits. On lui imposera 15 heures de travaux forcés par jour. «Je devais coudre des habits, des uniformes pour l’Irak, l’Iran et l’Afghanistan», se souvient-il. Il passera six ans en détention pour «subversion». En prison, il contracte une hépatite B. Les Etats-Unis, la Suisse, l’Allemagne et les Pays-Bas expriment leur inquiétude. A sa sortie de détention, il devra passer un mois à l’hôpital pour se refaire une santé.

Quatorze ans plus tard, il est à Genève, capitale des droits humains. Il raconte comment, une fois libéré, sa vie est devenu un enfer. Il était constamment surveillé, devait demander une autorisation pour tout déplacement. Il décide alors de fuir à travers des forêts vers le Vietnam, puis la Suisse, et s’installe finalement à San Francisco où il obtient l’asile. Il y vivote avec son épouse. Mais il n’a pas perdu sa combativité.

Aujourd’hui toutefois, il le confesse: «Si je pense à l’avenir, je ne peux plus dormir.» Depuis 2019, avance-t-il, la situation au Tibet s’est fortement détériorée. Alors que la Chine avait promis au CIO d’améliorer le sort des Tibétains et les droits de l’homme dans l’optique d’obtenir les JO 2008, «elle n’a rien fait. Bien au contraire. Les intellectuels et écrivains tibétains sont persécutés. Le pouvoir chinois ne veut plus qu’on enseigne le tibétain. Si le gouvernement chinois du président Xi Jinping ne change pas, notre peuple et notre culture vont disparaître. L’environnement subit d’énormes dégâts occasionnés par les mines d’extraction de ressources naturelles.»

La détermination de Dhondup Wangchen, défenseur d’une civilisation millénaire, paraît inébranlable. Rien ne présageait pourtant un tel parcours. Il grandit à Khotse, un village retiré des hauts plateaux de l’Himalaya, dans la région de l’Amdo. Une famille de dix enfants dont aucun ne va à l’école. Lui-même doit accomplir des travaux à la ferme et s’occupe des ânes et des yacks. Mais pris d’un besoin d’évasion, il part à Lhassa à 17 ans. Le palais d’été du dalaï-lama, le Norbulingka, le fascine d’emblée.

Départ pour Lhassa

C’est là qu’il verra les premiers moines et nonnes manifester pour leurs droits et les premiers actes de répression du pouvoir chinois. Il quittera ensuite le pays pour l’Inde où il rencontre le dalaï-lama. «C’est là que ma conscience politique est née, que j’ai réalisé que je devais agir pour mon peuple.» Dhondup Wangchen retourne à Lhassa. Il y distribue des livres en tibétain, notamment sur les enseignements du dalaï-lama. Cette activité contribuera, avec son film, à son arrestation.

A Genève, Dhondup Wangchen est venu plaider pour son peuple, mais aussi pour les autres peuples minoritaires de Chine, les Ouïgours du Xinjiang, les démocrates de Hongkong et les Taïwanais. Coresponsable de la section romande de la Société d’amitié suisse-tibétaine, René Longet écoute et ajoute: «Tous les ingrédients d’un véritable ethnocide sont en place: marginalisation et criminalisation progressives de l’enseignement du tibétain, interdiction de se rendre dans des monastères pour y participer à la vie spirituelle, implantation de cellules du Parti communiste chinois dans les monastères, obligation faite aux moines de vilipender le dalaï-lama.» Dhondup Wangchen hoche la tête. Mais ne peut qu’acquiescer.

Profil

1974 Naissance à Khotse.

1992 Quitte son village pour Lhassa.

2001 Publie des ouvrages sur les enseignements du dalaï-lama.

2008 Réalise le film «Surmonter la peur».

2009 Passe six ans en prison.

2014 Est libéré de détention.

2017 Fuit son pays et se réfugie à San Francisco.